NANOTECHNOLOGIE ET RISQUES PROFESSIONNELS

nanotechnologies

 

 

L’un de nos collaborateurs, à la fin de son cursus universitaire a eu l’opportunité d’assister à une conférence sur l’amiante et ses conséquences sur la santé.

Ce dernier a alors eu l’occasion de poser à l’intervenant la question suivante :

« L’amiante étant clairement définie aujourd’hui comme un matériau dangereux, quel serait selon vous l’équivalent de nos jours ? »

Sa réponse fut claire et concise :

« Incontestablement les nanotechnologies »

Neuf années se sont écoulées depuis et pour autant, la prise en compte de l’impact sur la santé des nanotechnologies, et de manière plus restreinte, le lien entre nanotechnologies et risques professionnels, n’a que peu avancé.

Forts de ce constat, attachons-nous dans un premier temps à définir la notion, avant de nous intéresser à son apparition et ses applications, pour tenter, dans un second temps, d’analyser l’impact sur la santé et plus particulièrement sous l’angle des risques professionnels, en prenant comme parallèle le risque amiante.

 

Selon l’INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale) : 

« Les nanotechnologies correspondent à l’ensemble des techniques et des outils qui permettent d’étudier ou d’interagir avec les phénomènes particuliers qui existent au niveau nanométrique ou nanoscopique. En effet, à cette échelle, les lois de la physique ne sont pas les mêmes qu’aux dimensions macroscopiques pour un composé identique : il apparait des propriétés nouvelles ou démultipliées, spécifiques. »

 

Selon l’INRS (Institut National de Recherche et de Sécurité)

Historiquement, on peut rapprocher l’apparition de la notion à une déclaration du physicien Richard Feynman lors d’une conférence en 1959 : « Les principes de la physique, pour autant que nous puissions en juger, ne s’opposent pas à la possibilité de manipuler des choses atome par atome ».

 

Le terme-même de « nanotechnologie » fut quant à lui utilisé pour la 1ère fois en 1974 par Norio Tanigushi (professeur à l’Université des sciences de Tokyo).

De nos jours, les nanotechnologies ont littéralement envahi nos sociétés et sont présentes un peu partout.

En effet, on les retrouve dans les cosmétiques (par exemple dans les crèmes solaires pour rendre le produit plus fluide et agréable), dans l’électronique, le textile et la construction à travers les nanotubes de carbone (100 fois plus résistants, 6 fois plus légers que l’acier et 70 fois plus conducteurs que le silicium) ou encore dans la santé (miniaturisation des dispositifs d’aide au diagnostic, imagerie médicale, etc). 

En 2010, le Woodrow Wilson Institute de Washington répertoriait près de 1000 produits contenant des nanoparticules.

Bien que les débouchés de cette technologie soient infinis, l’être humain, tout comme pour l’amiante, joue en quelque sorte les « apprentis sorciers » en faisant fi des éventuels risques pour la santé.

 

On peut notamment, à titre d’exemple et en guise de clin d’oeil citer un article du journal Marianne paru en 2013 : 

« La taille des nanoparticules leur permet de traverser des barrières naturelles du corps humain, d’aller dans le sang, le cerveau.

Les particules inertes comme le dioxyde de titane, le noir de carbone, pénètrent l’appareil respiratoire et peuvent tapisser l’ensemble de la muqueuse avec des risques de fibrose et de cancer.

L’impact touche toute la population, car il intéresse les médicaments, l’alimentation, les cosmétiques, les teintures, les tissus, les produits ménagers.

Il n’existe actuellement aucun instrument portable adéquat pour mesurer l’exposition aux nanoparticules dans l’air ou dans les lieux de travail. »

 

L’impact sur la santé est donc clairement identifié, de même que le lien existant entre exposition au travail et risque physique.  

A noter que les travailleurs sont par nature plus exposés à ce type de risques que les consommateurs qui, généralement, n’entrent en contact qu’avec les produits finis.

Encore une fois et au plan des risques professionnels, si on fait un parallèle avec l’amiante et la tardiveté de sa prise en compte, on ne peut que redouter la même tardiveté quant à l’appréhension des impacts néfastes des nanotechnologies, tant les deux sujets sont proches s’agissant de la méconnaissance de leurs affres.

Pour rappel, il a fallu attendre le 3 août 1945 pour voir apparaître le premier tableau de maladies professionnelles lié au risque amiante et le décret n° 96-1133 du 24 décembre 1996, entré en vigueur le 1er janvier 2017, pour que l’Etat français daigne interdire l’amiante. Pour autant, selon les statistiques de l’INRS en 2016, pour 18 529 736 salariés, 2 436 maladies professionnelles liées à l’amiante ont fait l’objet d’une prise en charge par les CPAM.

Le principal constat que l’on peut en tirer est que la nature humaine est encore loin de tirer des leçons des erreurs du passé, puisque la prise en compte des nanotechnologies sous l’angle risque professionnel demeure au stade embryonnaire. En effet, de nombreux salariés sont exposés à ce risque ; pour autant sa prise en compte de manière effective par la loi fait clairement défaut.  On ne peut que déplorer que, tout comme pour l’amiante, il faudra surement attendre l’apparition des premiers cas de salariés affectés pour que le débat soit porté sur la place publique et engendre la naissance des premiers textes.

A date, le seul rapprochement que l’on peut opérer entre les dispositions législatives et les risques inhérents aux nanotechnologies, réside dans le principe d’obligation de sécurité de résultat de l’employeur.

En vertu des dispositions de l’article L4121-1 du code du travail : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »

 

Compte tenu de cette obligation de sécurité, la responsabilité de l’employeur pourrait tout à fait être retenue. Mais, encore une fois, la prise en compte de ce risque n’en est qu’au stade embryonnaire, puisqu’aucune disposition du code de la sécurité sociale ne fait état spécifiquement des nanotechnologies.

 

A l’échelon européen, l’Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail précise que :

« La législation européenne en matière de protection des travailleurs s’applique aux nanomatériaux, même si elle n’y fait pas explicitement référence.  Sont notamment applicables la directive-cadre 89/391/CEE, la directive 98/24/CE portant sur les agents chimiques et la directive 2004/37/CE sur les agents cancérigènes et mutagènes ainsi que la législation sur les substances chimiques (REACH et CLP ). Ces législations obligent les employeurs à évaluer et gérer les risques liés aux nanomatériaux sur le lieu de travail. Si l’exploitation et la génération de nanomatériaux ne peuvent pas être éliminées ou remplacées par des processus utilisant d’autres matériaux ou présentant un niveau moindre de danger, il convient de limiter autant que possible l’exposition des travailleurs en mettant en œuvre des mesures de prévention ancrées dans une hiérarchie de mesures de contrôle spécifique. Cette hiérarchie devra accorder la priorité à :

 

  • La mise en place de mesures de contrôle technique à la source ;
  • La mise en place de mesures organisationnelles ;
  • L’utilisation d’équipements de protection personnelle, en dernier ressort.

 

Bien qu’un grand nombre d’incertitudes demeurent, les risques que représentent les nanomatériaux pour la santé et la sécurité sont source de grandes inquiétudes. C’est pourquoi les employeurs comme les travailleurs doivent suivre le principe de précaution, tant dans le domaine de la gestion des risques que dans le choix des mesures de prévention. »

Pour autant, et malgré ce début de prise de conscience à l’échelon européen (l’Agence Européenne précisant elle-même qu’aucun texte législatif ne fait expressément référence aux nanotechnologies), la seule possibilité de nos jours, à l’échelon national, donc de la France, pour un salarié, de voir reconnaitre le caractère professionnel de son affection, serait de bénéficier du système complémentaire de prise en charge des maladies professionnelles, instauré par l’article L461-1 du code de la sécurité sociale. 

Or, ce système complémentaire, permet, la prise en charge d’une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles, lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime. 

Pourtant, force est de constater que cette prise en charge est conditionnée au fait que l’affection doit, soit entrainer le décès du salarié, soit engendrer un taux d’incapacité permanente partielle prévisible de 25%, ce qui restreint par nature une prise en compte effective du risque associé aux nanotechnologies. 

 

Dès lors, on ne peut que s’interroger sur une prise en charge véritable et l’instauration d’un tableau de maladie professionnelle spécifique aux affres des nanotechnologies. Ce qui ne manque pas de soulever les questions suivantes :

A quand la création d’un tableau de maladie professionnelle sur le sujet ?

Quelles formes ce tableau prendra quant aux trois conditions de désignation de l’affection, de délai de prise en charge et d’exposition aux risques ?

Devra-t-on attendre les premiers cas de pathologie avérée pour que le débat s’instaure ?

 

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